QUELQUE PART DANS L'INACHEVÉ
Hélène Muheim
Exposition du 15 septembre au 15 octobre 2022
Vernissage de l'exposition le jeudi 15 septembre 2022
Bunkaru stage #2, 2022, ombres à paupières, encres et poudre de graphite sur papier italien, 70 x 100 cm
Frosty memory, 2022, ombres à paupières, encres et poudre de graphite sur papier italien, 70 x 100 cm
Vue de l'exposition " PART DANS L'INACHEVÉ" Septembre/ Octobre 2022, galerie Valérie Delaunay, Paris Photo Loïc Madec
Bunkaru stage #2, 2022, ombres à paupières, encres et poudre de graphite sur papier italien, 70 x 100 cm
Vidéo de l'exposition QUELQUE PART DANS L'INACHEVÉ
Hélène Muheim
Crédit Loïc Madec
« Quelque part dans l’inachevé »
Arpenter des territoires, traverser des forêts, contourner des lacs, gravir des montagnes, surplomber des vallées… Les nouvelles œuvres d’Hélène Muheim invitent à parcourir des paysages fantasmés sans véritables points d’entrée ni de sortie. Ils se révèlent à la manière de tests Rorschach, scindés en deux plans principaux, qui, l’un au-dessus de l’autre, se répondent en miroir sans pour autant être symétriques. Bien au contraire, racines, feuillages, troncs, rocheuses, nappes nuageuses s’entrelacent, à l’envers et à l’endroit, dans des compositions organiques fourmillant de détails tout en conservant des contours généraux indécis. En adoptant un point de vue distancié, on a la sensation d’une certaine quiétude. Mais lorsque l’on plonge notre regard dans le maillage complexe des formes et de lignes dessinées, on entre dans des univers imbriqués à travers lesquels l’œil est sans cesse mis en mouvement.
Afin de donner corps à ces paysages, l’artiste pose sur son papier à la texture lisse et veloutée des masses de couleurs à l’aide d’encres mêlées de graphite. Elle fait ensuite émerger sur ces zones des décors qui oscillent entre le naturel et l’artificiel, traités avec finesse et mimétisme. Enfin, elle recouvre certaines parties de ses dessins d’ombres à paupières, le plus souvent pastel, grimant les éléments figurés comme s’ils étaient traversés par une lumière diaphane. Ces tonalités se rapprochent d’ailleurs de celles utilisées pour les colorisations photographiques. Ce maquillage métamorphose symboliquement les mondes représentés en organismes vivants, et renforce leur poésie tout comme leur étrangeté. Parfois, ils se parent de motifs en dentelle inspirés des radiographies osseuses de l’artiste. Ces indices témoignent de l’entremêlement des relations entre l’humain et la nature. Ils font de ces paysages des lieux où dialoguent mémoires collective et individuelle.
L’exposition « Quelque part dans l’inachevé » propose de suivre une ligne d’horizon de 29 mètres rythmée par de multiples paysages. Ce dispositif, spécifiquement pensé pour l’espace de la galerie Valérie Delaunay, nous environne et nous convie à déambuler d’image en image et à s’y projeter. Cette ligne élabore un panorama afin de nous faire prendre la mesure de notre rapport au monde. Accrochée côte à côte, unique ou scindée en plusieurs modules, chaque œuvre contient d’ailleurs un monde flottant étiré dans la longueur. L’artiste y renverse les échelles et y condense des références. Celles-ci sont multiples allant de souvenirs de voyages personnels, à des éléments iconographiques liés à l’histoire de l’art : des ukiyo-e japonais à la peinture chinoise en passant par toiles pittoresques européennes du XVIIIe siècle. Des motifs inventés complètent également ce vocabulaire formel. Les univers façonnés par Hélène Muheim, entre réalité et fiction, déjouent ainsi la construction culturelle du paysage. Ils dévoilent que ce dernier est toujours affaire de regard et de traduction du réel, selon une partition qui oscille entre objectivité et subjectivité. Il ne s’agit donc pas de copier trait pour trait la réalité, ou d’en livrer des images fidèles et documentaires, mais plutôt de retranscrire, par un geste concentré et délicat, des expériences vécues tant par le corps que par la pensée et l’imaginaire. Pour paraphraser le peintre et calligraphe chinois Dong Qichang (1555-1636), lorsque l’artiste dessine au gré de sa main, elle transmet alors l’esprit du paysage[1]. Si les bords des vallées, forêts, flancs montagneux et autres topographies représentées donnent parfois un sentiment d’inachèvement, c’est pour permettre à celui ou celle qui observe de s’imprégner de ces microcosmes, d’en activer les récits mémoriels ou fictionnels et de faire bruire la musicalité.
Thomas Fort
Extrait du texte écrit pour l'exposition.
Thomas fort est commissaire d'exposition indépendant, critique d'art et enseignant. Il développe depuis plusieurs années ses recherches curatoriales autour des notions de la mémoire et de l'oubli entre expériences individuelles et collectives.
[1] Dong Qichang cité par Craig Clunas, dans Fruitful Sites. Garden Culture in Ming Dynasty China, Londres, Reaktion Books, 1996, p. 93. [Celui qui lit dix mille ouvrages et voyage sur des milliers de kilomètres peut chasser en son sein toutes les impuretés et voir émerger spontanément en lui collines et vallées. Lorsqu’il a érigé des barrières protectrices [pour son cœur] et qu’il dessine au gré de sa main, il transmet alors l’esprit du paysage].