WE'LL KEEP ON BLOOMING
Hélène Muheim
Exposition du 13 mars au 12 avril 2025
Vernissage jeudi 13 mars 2025
Dossier de presse
Sait-on rester un instant au bord d’une image ? Sait-on rester sur le rivage, en contemplation ? Retenons notre impatience, délectons-nous d’une ligne d’horizon, d’une profondeur de champ, d’une aura veloutée englobant les merveilles de la nature. Restons là, au bord et regardons au loin surgir, au-dessus d’une brume ivoire, les fines silhouettes des arbres, serrées les unes contre les autres. Là-bas, en lévitation. Voici les nébulosités automnales et hivernales, incertaines, révélant délicatement les rangées de feuillus fécondées par le brouillard d’un lac en dilatation. Ce brouillard blanc, c’est ce vide audacieux, vertigineux même, qui occupe plus de la moitié inférieure de la feuille blanche. On a cette étrange impression que le monde s’est inversé. La terre est-elle bien en bas et le ciel en haut ? On pense alors à Sam Francis qui aimait tant laisser le vide rythmer les dérivations liquides de ses couleurs. Sam Francis, justement, que Hélène Muheim a rencontré petite fille, lorsqu’elle habitait dans le silence lumineux de l’abbaye cistercienne de Sénanque, dans le sud de la France, alors que son père avait décidé de rénover ce vieil édifice et d’en faire un lieu culturel. Cadre monastique singulier pour la jeune fille qui y goûte ses premières épiphanies artistiques, seule, en dialogue avec les vibrations de la lumière qui filtrent par les ouvertures ascétiques. Avec les toiles de Giorgio Morandi, également ascétiques, qu’elle découvre à la même époque, Hélène Muheim se forge une idée personnelle de la beauté. Or revendiquer le beau, et même la technique pour atteindre le beau, n’est jamais chose aisée. Il fut même une époque, pas si lointaine, où cette idée était purement réactionnaire. Mais les temps changent, il faut croire, imperceptiblement. Et peu importe pour l’artiste, elle a tracé son chemin artistique en restant fidèle à cette quête, grâce au dessin qui est devenu son médium de prédilection. Par la minutie de son trait, l’artiste ne cesse de rechercher les trésors de la nature.
C’est à ce moment précis que l’on peut quitter le rivage et s’introduire dans l’infinie minutie de ses sous-bois foisonnants qui se dévoilent à la manière de paysages fantastiques. S’ils peuvent évoquer les imageries pittoresques de la découverte du Nouveau Monde, ils réussissent à transcender cette esthétique illustrative pour nous embarquer dans un voyage nourri de la légèreté des images du monde flottant de l’art japonais. De grande taille, les dessins se déploient à la manière de kakémonos ou de membranes vivantes. Iles mouvantes, jouant de l’équilibre subtil entre pleins et vides et embarquant avec elles un imaginaire puisé dans la jungle indienne qui fascine l’artiste depuis 20 ans. Et si nous étions restés au bord au début, nous y tombons désormais, ou plutôt, nous y succombons. En effet, leurs rivages, à savoir leurs contours, sont irréguliers, incertains, difficile à circonscrire. Sans cadre. Des élections libres, des intériorités impermanentes. « A l’intérieur de la jungle, en Inde, c’est un sentiment océanique qui m’a envahi, tel que celui énoncé par Romain Rolland et Freud » confie-t-elle, décrivant une puissante connexion de son corps avec la nature. « Cela s’est passé comme une naissance, ou une renaissance au monde. » Nous voilà dedans nous aussi, immergés dans ces ailleurs aux multiples feuillages où apparaissent d’incessantes paréidolies. Singes, oiseaux, personnages… ? On ne se lasse pas de la méticulosité du trait qu’elle appose à l’encre et qu’elle colorie et estompe avec du fard à paupière. Nul hasard que l’on soit alors séduit par ces atours. « Je maquille le monde » dit-elle en riant. La feuille de papier devient la seconde peau de l’artiste sur laquelle elle explore les cités d’or que recèle le paysage. Comme un perpétuel renouvellement de l’éphémère qu’on a tant aimé et dont on s’aperçoit, une fois qu’il a disparu, que c’était l’image latente du bonheur. Les dessins d’Hélène Muheim se tiennent ainsi, fragiles et délicats, sur cet entre-deux entre beauté éphémère et image rémanente, persistante. Dans la grande tradition des artistes voyageurs romantiques, qui aimaient peindre les détails du monde, elle nous offre, dans cette nouvelle exposition, sa poétique de l’ailleurs, suspendue entre deux-mondes, le mémoriel et l’imaginaire, jamais vraiment figée, nous laissant au bord, dans une contemplation doucement inassouvie.
Julie Chaizemartin
Critique d'art et journaliste
Texte écrit à l'occasion de l'exposition We'll keep on blooming.